ECHOS DU LIBAN
-
Au Liban, les enjeux du ballet diplomatique
L’Orient le jour, 14/8/2020 par Anthony SAMRANI, Julie KEBBI et Soulayma MARDAM BEY.
Paris, Téhéran, Washington et dans une moindre mesure Riyad s’activent après l’explosion, mais avec des agendas divergents, parfois mêmes contraires.
Emmanuel Macron la semaine dernière, David Hale hier, Mohammad Javad Zarif aujourd’hui : les visites diplomatiques se succèdent au Liban – mais ne devraient pas se ressembler – après la double explosion qui a endeuillé Beyrouth le 4 août. L’évènement semble être considéré comme un « game changer » par les puissances régionales et internationales susceptible de favoriser leurs intérêts au pays du Cèdre. Il ne modifie pas nécessairement pour autant leurs calculs et leurs lignes rouges au Liban, ce qui fait qu’en l’absence d’évolution majeure sur la scène locale, il est peu probable que la situation se débloque par la seule voie diplomatique.
La France est le protagoniste le plus actif mais également le plus susceptible de rassembler toutes les parties sur la scène locale. Paris a un agenda moins politique que les autres puissances impliquées dans le dossier et concentre son effort diplomatique sur l’urgence pour le Liban d’adopter des réformes et de négocier avec le FMI. « Macron est intéressé à faire bouger les choses, et notamment à faire avancer les réformes qui sont clés pour CEDRE (conférence de soutien pour le Liban) », avance Michel Duclos, ancien ambassadeur en Syrie et conseiller spécial en géopolitique à l’Institut Montaigne. Lors de sa visite à Beyrouth, le président français a tenu à ses homologues libanais un discours très direct, peu diplomatique, mais en prenant soin dans le même temps de ne pas braquer les parties sur les sujets les plus sensibles, à commencer par la question du Hezbollah. « Les réformes d’abord, la géopolitique ensuite » : voilà comment on pourrait résumer la position de Paris pour qui le déblocage d’une aide au gouvernement libanais ne passe pas par une mise à l’écart du Hezbollah mais par l’adoption de plusieurs réformes-clés, à l’instar de la justice ou de l’électricité. Le fait qu’Emmanuel Macron ait rencontré, parmi les autres responsables politiques, le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, est une indication supplémentaire en ce sens. La France semble miser sur le fait que les grandes formations politiques mettent leurs différends stratégiques de côté et forment un gouvernement d’urgence capable de négocier sérieusement avec le FMI.
Mais les efforts entrepris par Paris pourraient rester sans suite en raison d’une part de la résistance des acteurs au pouvoir à effectuer des réformes qui sont contraires à leurs intérêts et d’autre part du fait que la géopolitique risque de revenir en force et balayer tout le reste, par le biais des autres acteurs extérieurs.
« Aucun signe d’un changement de position »
Officiellement, les États-Unis et les pays du Golfe, en premier lieu l’Arabie saoudite, ont un discours très proche de celui de Paris. Ils insistent sur la nécessité pour le Liban d’entreprendre des réformes majeures, condition sine qua non pour débloquer des aides à son égard. Mais la mise en place de réformes semble impliquer, dans leurs logiques, une mise à l’écart du Hezbollah, ou au moins une limitation de ses prérogatives.
Riyad s’est progressivement désengagée de la scène libanaise au cours de ces dernières années, s’éloignant de son principal allié, Saad Hariri, à qui le royaume reproche son manque de combativité vis-à-vis du parti chiite. « La position de l’Arabie saoudite est claire : le Hezbollah a maintenant un contrôle clair sur le Liban et, par conséquent, il n’y a aucune raison de maintenir le soutien qui existait auparavant », explique Riad Kahwaji, directeur de l’Institut d’analyse militaire pour le Proche-Orient et le Golfe (Inegma) basé à Dubaï. Est-ce que le drame du 4 août et la démission du gouvernement Diab qui s’en est suivie peuvent changer la donne ? C’est peu probable. « Je ne vois aucun signe actuellement qui indiquerait un changement de position de l’Arabie saoudite », dit Riad Kahwaji. « Riyad pourrait toutefois accepter de soutenir un gouvernement où le pouvoir du Hezbollah est effectivement limité », décrypte Hussein Ibish, chercheur à l’Arab Gulf States Institute à Washington.
La position de Washington est plus ambiguë. Malgré l’hostilité américaine envers l’Iran et ses alliés et sa volonté d’étouffer financièrement le Hezbollah, des voix subsistent au sein de l’administration Trump pour distinguer la lutte contre le parti chiite de la bonne tenue des relations américano-libanaises. Le fait que les États-Unis aient dépêché à Beyrouth David Hale, le secrétaire d’État adjoint américain pour les Affaires politiques, partisan d’une ligne plus modérée, peut être une indication que Washington est dans une approche moins frontale vis-à-vis du Hezbollah. Mais des informations publiées par le Wall Street Journal font état d’une volonté américaine d’accentuer la pression contre le parti chiite en imposant des sanctions contre des personnalités politiques proches du Hezbollah, notamment Gebran Bassil. Est-ce que la mise en retrait du Hezbollah fait partie des réformes attendues par les États-Unis pour venir en aide au Liban ? La visite de David Hale, qui se poursuit aujourd’hui, en même temps que celle, prévue, du ministre iranien des Affaires étrangères, devrait donner plus d’indications sur ce sujet.
« Débat intense en Iran »
L’enjeu est crucial car plus le Hezbollah se sentira menacé, moins il sera enclin à lâcher du lest. Le parti chiite peut avoir un intérêt à ne pas être en première ligne dans la mise en œuvre des réformes-clés attendues par la communauté internationale à condition que le statu quo stratégique soit préservé. L’Iran, et plus généralement « l’Axe de la résistance », traverse une phase particulièrement difficile, dans laquelle ils ont besoin de soupape pour préserver leurs acquis. Autrement dit, l’Iran a intérêt à ce que l’État libanais ne s’effondre pas complètement et par conséquent que la communauté internationale lui vienne en aide. À condition que son principal allié dans le monde arabe ne s’en trouve pas affaibli. « L’explosion de Beyrouth a déclenché un débat assez intense en Iran sur les effets de celle-ci sur l’avenir politique du Hezbollah en tant que force politique majeure au Liban », commente Ali Fathollah-Nejad, spécialiste de l’Iran, professeur agrégé à l’Université de Tübingen en Allemagne et chercheur non résident au Center for Middle East Policy de la Brookings Institution, aux États-Unis. « La principale ligne rouge de l’Iran est l’arsenal du Hezbollah et son statut de résistance contre Israël », renchérit Mohanad Hage Ali, spécialiste du Hezbollah et chercheur au sein du Carnegie. Si les questions stratégiques ne sont pas en jeu, « je ne vois pas de raison pour que l’Iran mette son veto sur la formation d’un nouveau gouvernement », ajoute-t-il. À condition, pourrait-on nuancer, que le Hezbollah se sente suffisamment confiant dans le fait qu’un nouveau gouvernement qui ne l’inclurait pas ne prenne aucune décision contraire à ses intérêts. Ce qui est loin d’être acquis.
Cette video reproduite avec l'autorisation de notre ami William Matar (www.discoverlebanon.com) prouve l'immense mobilisation de la "révolution libanaise d'octobre 2019 contre la corruption et la pauvreté.
Impact de l’escalade israélienne en Syrie sur le Liban (L’Orient le jour, 15 mai 2020)
L’intensification des frappes de l’État hébreu contre la présence militaire iranienne dans le pays voisin s’accompagne d’une fébrilité accrue dans l’espace aérien libanais. Toutefois, l’éventualité d’une guerre ouverte, quoique possible, reste limitée, selon des analystes. Le couvre-feu imposé dans le cadre de la lutte contre le coronavirus aidant, il est difficile de ne pas entendre, dans le silence des nuits, le vrombissement fréquent de drones et d’avions israéliens, qu’ils survolent simplement le territoire libanais ou qu’ils utilisent son espace aérien pour mener des frappes en Syrie contre des cibles liées à l’Iran et à ses supplétifs,...